lundi 28 novembre 2016

Incarcération de Bagui et Youssouf Traoré, poursuivis pour outrage : après le mensonge d’État, l’acharnement du parquet de Pontoise et de la maire de Beaumont-sur-Oise


L’affaire Adama Traoré démarre le 19 juillet, lorsque le jeune homme de 24 ans meurt étouffé, suite à son interpellation par les gendarmes de Beaumont-sur-Oise, dans des conditions racontées par Lassana Traoré, l’un des frères d’Adama sur le site Quartiers Libres.
Comme le souligne Le Monde, l'arrestation, le 24 novembre, de deux frères de la victime, pour outrage (tiens, tiens !), rébellion et menaces de mort sur les forces de l’ordre, suivie de leur incarcération, ont installé un climat délétère à Beaumont-sur-Oise. Et donné un tour inquiétant à cette affaire, dans une république française se muant chaque jour un peu plus en un État policier – facilité par l’arbitraire parfois ubuesque de l’état d’urgence.

Retour sur un mensonge d’État
Adama Traoré, tué par des gendarmes le jour de ses 24 ans
Dès le départ, le procu-reur de la République de Pontoise Yves Jannin assure que l’autopsie a conclu à une "infection respiratoire". Deux autres rapports d’autopsie infirment cette hypothèse qui n’est rien d’autre qu’un mensonge d’État et rétablissent la vérité. Adama Traoré est mort suite à un "syndrome asphyxique". Auditionnés, les gendarmes ont reconnu que Traoré avait pris "le poids de leurs corps à tous les trois". À la suite de quoi le procureur Jannin est muté à Paris.
La famille d’Adama Traoré et ses proches lancent alors une grande campagne réclamant Justice pour Adama. Plusieurs manifestations ont lieu, à Beaumont-sur-Oise puis à Paris, à deux reprises (la première étant interdite, la seconde autorisée). Les vidéos sont ici.
Évoquant l’absence de compassion de la maire de Beaumont-sur-Oise Nathalie Groux vis-à-vis de la famille Traoré, Assa, la sœur d’Adama, déclare à Mouloud Achour sur Canal + : "Nous sommes des habitants de Beaumont depuis presque 30 ans, mais nous avons été traités comme des inconnus. Nous n’avons toujours pas eu de condoléances, nous avons des bâtons dans les roues depuis le début, dès qu’on veut mettre quelque chose en place. Donc la maire a choisi son camp et de quel côté elle se met, du côté des gendarmes. Ce qui veut dire du côté de la violence policière."
Lors de cette émission, Assa Traoré ne manque pas de rappeler que le seul homme politique ayant apporté sa sympathie à sa famille est… le président de la République du Mali. Le président Hollande restant désespérément silencieux. Ce qui ne surprendra personne, au regard de la façon dont ce monsieur et son ami le préfet de police de Paris ont couvert les terribles violences policières lors des mani-festations du printemps 2016. Quant à la "classe politique française", c’est le néant total. À part un "tweet fugace" de Mélenchon, ajoute la sœur d’Adama.


Cette compassion à géométrie variable est relevée par le site Buzzfeed, qui rappelle certaines sympathies troublantes de madame la maire UDI de Beaumont-sur-Oise, Nathalie Groux, sur sa page Facebook (fermée depuis). D’un côté, les "citoyens de souche" et les "pauvres policiers sans recours…" De l’autre…


Les propos de la sœur d’Adama ne sont pas du goût de Nathalie Groux qui, n’écoutant que son courage, poursuit Assa Traoré en diffamation. Et décide de faire adopter par le conseil municipal de Beaumont-sur-Oise une délibération autorisant la commune de Beaumont-sur-Oise à prendre en charge ses frais personnels de justice, à concurrence de 10.000 €.
Les proches et la famille d’Adama, outrés, protestent contre cette décision scandaleuse (faire financer le dépôt d’une plainte contre un habitant de la commune par de l’argent public) et sont refoulés de la salle du conseil municipal (alors que tout citoyen a le droit d’assister au conseil municipal de sa commune), qui est ajourné.

L’acharnement du parquet de Pontoise
Une deuxième réunion du con-seil municipal a lieu quelques jours plus tard, le 23 novembre. Nou-velle manifestation des soutiens d’Adama Traoré, violemment dispersés par une charge de 90 gendarmes, au cours de laquelle les frères d’Adama et Assa, Bagui, 25 ans et Youssouf, 22 ans, sont interpellés, mis en garde à vue pour outrage. Ils sont alors incarcérés jusqu’au 14 décembre 2016, date de leur procès, après que leur avocat eût demandé le report de leur comparution immédiate. Pour "éviter qu'ils ne fassent pression sur d’autres témoins" [sic]. Le parquet de Pontoise, qui n’est plus dirigé par Yves Jannin, profite de l'occasion pour demander l’exécution d’une condamnation de six mois pour des faits antérieurs à l’encontre de Bangui Traoré.
Plus tard dans la soirée, des incidents éclatent. Un bus est brûlé par des individus cagoulés. L’incendie se propage à des voitures. La préfecture envoie les gendarmes mobiles, mais, les pompiers refusant d’intervenir, ce sont les habitants du quartier qui éteindront les flammes.

"Dis à ta sœur qu’elle fait trop de bruit !"
Lors d’une conférence de presse, Assa Traoré assure qu’il s’agissait d’une "expédition punitive" lancée par les gendarmes. "On avait une cinquantaine de gendarmes devant nous et ils ont dit : "chargez", ils ont tabassé, humilié les jeunes, ils étaient sur les toits avec les flash-balls, c’était horrible à voir", ajoute-t-elle, affirmant qu’elle "aurait pu y passer." Un policier, interrogé par Bagui Traoré, révolté d’être arrêté et incarcéré alors qu’il ne s’est livré à aucune violence et n’a fait que réclamer justice pour son frère, s’entendra répondre : "Dis à ta sœur qu’elle fait trop de bruit !"


Une tentative de criminalisation de la famille Traoré
Le 25 novembre, le ministre de l’Intérieur, recevant Nathalie Gréoux place Beau-vau pour l’assurer de son entier soutien, appelle au calme, ajoutant que des forces de police resteront stationnées à Beaumont-sur-Oise. La famille, qui, elle, n’a pas été reçue par Bernard Cazeneuve, dénonce la "tentative de criminalisation de sa famille et du combat qu’elle mène pour que justice soit faite".
Il faut dire que cette affaire arrive à un moment particulièrement délicat pour le pouvoir !
Quelques semaines après les manifestations nocturnes (interdites) de policiers consécutives à l’agression de leurs collègues à Viry-Châtillon.
Quelques jours après le réquisitoire du procureur de la République à l’encontre des trois policiers ayant blessé plusieurs personnes le 8 juillet 2009 à Montreuil (dont Joachim Gatti, qui eut un œil crevé), à l’issue du procès qui vient de se tenir pendant cinq jours devant la cour d’Assises de Bobigny, a ranimé les rancœurs dans les rangs de la police, qui ont de nouveau manifesté sur les Champs-Élysées dans la nuit du 24 au 25 novembre.
Le même Bernard Cazeneuve ayant déposé, on le sait, un projet de loi visant à instituer la présomption de légitime défense pour les policiers qui ferait des policiers des citoyens (encore plus) au-dessus des lois qu’ils ne le sont actuellement et reviendrait à inscrire dans la loi un véritable permis de tuer. Ce projet de loi sera examiné par le conseil des ministres le 21 décembre.
Une semaine après le procès des frères Traoré devant le TGI de Pontoise, le 14 décembre.
Cinq jours après le délibéré du procès du flash-ball de Bobigny. (Dans sa réqui-sition, le procureur a demandé des peines de prison avec sursis contre les fonctionnaires de police.)


Pour soutenir financièrement la famille Traoré
Comme on peut s’en douter, l'acharnement du parquet de Pontoise et de la maire de Beaumont-sur-Oise va coûter beaucoup d’argent à la famille Traoré. C’est pour-quoi, à l’initiative d’une ancienne employeuse d’Adama, une cagnotte est mise à la disposition de celles et ceux qui souhaiteraient les aider à payer les frais judiciaires, frais d’expertise, etc.
La pétition pour la libération de Bagui et Youcef. Leur avocat a déposé une demande de référé-liberté, auquel le parquet devait répondre le 6 décembre.
La vérité pour Adama sur Facebook.

Aucun commentaire: